Deuxième partie
LA MISSIVE
Le parfumeur
II
Qui voilà ? Beaux, fins et racés. De vrais soleils. Mustafa et Sofiane, les inséparables jumeaux. Des deux, lequel brille le plus ? Difficile de les distinguer. Même charpente élancée, même tignasse noire corbeau, même regard fier et insoumis, même visage volontaire, même teint mat, mêmes lèvres puissantes, même sourire franc... Hormis la tache de naissance que Sofiane porte au bras, on dirait les mêmes. Ils ne se quittent pas d’une semelle. Comme les deux genoux du chameau ! Toujours ensemble, à la vie, à la mort. « Siamois », leur vie ne serait pas différente. D’où ce sobriquet dont les affuble le quartier.
Ils débouchent de la ruelle de La Naphte enflammée sur la place de la Perle. Comme chaque soir, ils rentrent du bazar où ils officient comme portefaix. Si la nuit ils s’abandonnent à l’insouciance de leur âge, le jour ils se dévouent sans relâche à leur travail pour nourrir Abdel leur père grabataire. Pauvre Abdel ! Si seul depuis la disparition de leur mère et de leur sœur, emportées il y a dix crues par la même épidémie que Katayoun, la favorite d’Omar, le roi du quartier.
Mustafa et Sofiane passent au large du chaudron de Koufra, dégoûtés et fascinés à la fois par cette nature morte. D’un coup de pied, Mustafa soulève une gerbe de terre en direction de Gala toujours pendu à la main de Koufra. Le chien reste accroché à sa prise. Sofiane ramasse alors un brandon à demi calciné et le lui jette. Touché au flanc, Gala finit par lâcher la main en arrachant deux doigts. Oreilles repliées, il s’éloigne avec sa prise.
*
Du regard, Mustafa et Sofiane balaient la Place de la Perle et ses trois impasses. Close par une barrière, une première au levant, semble desservir un grand riad protégé par une muraille blanche. L’impasse du Lion, celle d’Omar. Pas un signe de vie. La barrière est fermée. Mouloud le futuwwa qui en garde d’habitude l’entrée est absent.
Dans la deuxième impasse, au couchant, pas un chat non plus. Elle ne présente que des bâtisses aux toits calcinés, aux portes et aux moucharabiehs éventrés. Comme si un incendie avait sévi la veille. N’y logent que des cigognes vautrées dans leurs grands nids de branchages. L’impasse de La Chamelle Pleine, soufflée par le grand incendie provoqué l’année dernière par les soudards d’Al Hakim, la nuit où il leur a livré Fustat afin de calmer leurs ardeurs.
Entre ces deux impasses, plein sud, une troisième hésite entre l’opulence de la première et la désolation de la deuxième. L’impasse des Trois Vierges, celle de Mustafa et Sofiane.
A peine s’y dirigent-ils que Gala revient vers le chaudron. Mustafa et Sofiane passent devant une guérite ronde. Plantée au milieu de l’entrée, elle obstrue en partie le passage.
Le bourdonnement de l’essaim de mouches qui volette autour est entrecoupé par un cliquetis d’os. Les interstices de ses briques espacées laissent deviner une silhouette à l’intérieur. Une odeur pestilentielle de latrines et de vomissures s’en échappe.
« À boire,... à manger..., par le Miséricordieux. »
Le râle ouaté mais chantant de Maya la recluse. Toujours cette ancienne courtisane est emmurée ici depuis quinze crues pour être allée au hammam un jour où un firman l’interdisait.
Comme d’habitude, Mustafa et Sofiane évitent d’approcher la petite ouverture par laquelle on glisse l’eau et le brouet quotidien de la recluse. Maya tente toujours d’alpaguer les passants pour leur lire l’avenir. L’un comme l’autre craint trop qu’elle ne révèle à qui Yasmina appartiendra, brisant leur fratrie ou leur rêve.
La guérite derrière eux, les jumeaux pénètrent dans l’impasse des Trois Vierges.
*
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La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7