Les aigles
I
« Sauvé ! Ouf. Enfin… Merci mon Dieu. »
Augustin, à bout de souffle, crache ses bronches.
A moitié évanouie sous le nuage de sable, la digue s’étire devant lui sur une centaine de pas. Impossible de distinguer Assiou, le village sur l’autre rive.
Le khamsin s’est levé sans prévenir voici un quart de chandelle. Il lui colle à la peau, lui suce la chair de la tête aux pieds.
Ce vent du désert lui envoie tantôt une giclée de fange putride, tantôt une volée de sable brûlant. Augustin suffoque, comme si la tourbière du marais s’apprêtait à le digérer.
« Le souffle de la Méduse », dit Myriam la chamane.
L’eau, d’habitude plus lisse qu’un miroir, est couverte d’écume grasse aux relents fétides. Un vrai breuvage de sorcière. Tout autour, les joncs ploient sous les coups répétés de la tempête, dans un sens, puis dans l’autre, menaçant de rompre à chaque instant. Parfois, une bourrasque les fait tournoyer sur eux-mêmes, en fracassant plusieurs.
EEEEEK…EEEEEEK… Les… ai…gles…a…tta…quent.
La clameur parvient à Augustin par bribes d’échos à travers les rafales de vent.
- Ils arrivent, ils arrivent ! lui souffle une petite voix effrayée au creux de l’oreille.
Augustin desserre l’emprise de Malika, accrochée à ses épaules. La petiote se laisse glisser le long de son échine. A peine ses pieds se posent-ils sur la terre humide, qu’elle lui attrape la main et se blottit sous son aisselle. Ses cheveux si longs et si fins ne sont plus que de lourdes nattes gorgées d’eau vaseuse.
Il cavale avec elle sur son dos depuis une heure. Un miracle qu’ils aient échappé aux aigles déchaînés. La crue de cette année, plutôt basse, a laissé affleurer dans le marais des langues de terres providentielles. Grâce à elles, Augustin a contourné les aigles qui leur barraient le chemin, échappant in extremis à Amphitryon le plus acharné d’entre eux.
EEEEEK…EEEEEK…
Les aigles les auront bientôt rattrapés. Sans le khamsin, ce serait déjà fait.
« La digue, enfin !» se répète Augustin, grelottant de peur et de froid.
Que Malika traverse et c’est gagné. Il échappe à la curée. C’est la règle.
*
Les aigles
II
« O..hé,… les… a…mou…reux »
Paul ! Au cœur de la tourmente, Augustin reconnaît la voix de son frère aîné.
EEEEEEEK…EEEEEEEK… I…bis…dé…plu…més…Mon…trez…vous… »
Les aigles ne sont plus qu’à quelques toises.
Malgré le sable qui lui fouette la face, Malika fixe Augustin avec ses grandes prunelles noires et humides, pleine de confiance et de détresse. Elle se sert contre lui. Augustin trépigne.
« Ma Lune, qu’attends-tu ? se dit-il, osant à peine la regarder. Tu y vas, je suis sauvé. Tu restes ? Je ramasse au moins dix coups de tesson ».
Que faire ? La forcer à traverser ou se faire déchiqueter ?
Ce soir, les aigles semblent possédés. Ont-ils croisé la Méduse ? Comment expliquer pareille fureur ? Chaque soir, la Méduse revient hanter le marais, son royaume. Tous les enfants le savent. Il est interdit de s’y rendre à la tombée du jour, encore moins d’y jouer à « l’aigle ».
La Méduse peut surgir à tout moment devant ou derrière soi. Qui la regarde, se laisse subjuguer par son regard bleu azur et perd la raison.
La Méduse aime rôder à cette heure, épousant toute forme jusqu’à se confondre aux joncs. Jujubier, tamaris, homme, femme, vieillard, enfant, chien, fourmi, scorpion,... Elle prend l’aspect de son choix. Une et multiple, nulle part et partout à la fois. Augustin a appris ça au sein d’Hélène, sa mère. Dès qu’on l’approche, la Méduse affiche son vrai visage, la peau émaciée comme une momie. La nichée d’aspics qu’elle porte sur le crâne en guise de chevelure peut s’étirer à l’infini pour attraper ses proies.
La Méduse règne à Konios depuis la nuit des temps. Elle a déjà pétrifié la forêt et ses anciens habitants. Les striures de palmiers sur les roches, les milliers de momies dans les nécropoles antiques d’alentour, le khamsin… Qui d’autre qu’elle ?
Qu’importe qu’Athanase, un lointain aïeul d’Augustin, ait coupé un jour la tête de la Méduse pour la fourrer, renversée, dans un sac de jute (cette relique trône aujourd’hui sur un billot dans la hutte de Myriam la chamane : le tabou du village). La Méduse s’est depuis longtemps réincarnée, comme une hydre. Pour s’en préserver, il faudrait lui couper la tête à chaque crue. Personne ne s’y est frotté depuis des lustres. Qui aura un jour le courage d’Athanase ?
« Tous des lâches ! Moi, le premier », pense Augustin.
L’aigle, ce jeu si stupide, si palpitant. Un joueur tiré au sort, « l’aigle », poursuit les autres, « les proies ». En guise de serre, il tient un tesson pointu et coupant. Dès qu’il « croche » une proie avec ce dernier, jusqu’au sang, la proie devient aigle à son tour, à ses côtés. La proie suivante reçoit deux coups de tesson, un par aigle. La troisième trois. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une proie, celle qui sera épargnée. Comme à chaque fois, Simon et Péricles, les plus peureux, se sont laissé crocher dès le début. Lydia aussi, une des rares filles à participer à ce jeu, qui aimerait tant qu’Augustin lui conte fleurette comme à Malika.
Plus la partie avançait, plus les proies devenues aigles (Simon, Jean, Ulysse…) faisaient payer au double leurs souffrances, infligeant des entailles toujours plus nombreuses et plus profondes aux suivants. Jusqu’à Amphytrion, le dernier à y passer. D’indemnes, hormis leurs griffures de branchages et d’épines d’acacias, il ne reste qu’Augustin et Malika.
EEEEEEK…EEEEEEK…
Malika se met à claquer des dents. Augustin se tait.
« Paul maudit sois-tu », songe-t-il.
*
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La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7
le meme docuisrs de demarche intellectuelle, d'ouverture et de curiosite que tu as tenu lors de la discussion du contrat d'edition avec T. Meyssan pour ses deux livres?Car il est plus ou moins pointu et categorique dans ses dires et ses accusations non?J'aime bien ta phrase (car on peut se tromper en etant intiment convaincu d?avoir raison !) applique la
Rédigé par : Ayeoribe | lundi 27 fév 2012 à 02h43
Now I'm gonna have the Stones stuck in my head all day. Thanks. ;o)In all seriousness, one thing that has awayls bothered me is that progressives awayls seem to cede the morality argument to Republicans. This needs to stop. Progressives have done, and continue to do, a much better job sticking up for the little guy and for the people who have trouble standing up for themselves. Republicans mistakenly call it socialism e2€”c2a0in fact, it's one of the tenets of basic morality.But is that the message from the right? No. They seem more concerned with red herrings like gay marriage, family values (whatever that means), prayer in schools and display of the Ten Commandments.It's very much like the national-defense argument: Republicans claim the higher ground despite the fact Democrats have done the better job. My biggest gripe with our party is that we allow this to happen when the facts don't support it. It's like a great football team without the swagger.
Rédigé par : Vinesh | dimanche 04 nov 2012 à 17h56