La leçon de danse
III
« Quelle grâce ! », songe Nouria en la contemplant. Les yeux étirés, la bouche éclatante aux lèvres plus douces et colorées que des pétales de rose, Yasmina exhale un goût de jardin et de nectar. L’arabesque de henné qui s’élance de son talon pour s’enrouler autour de ses jambes comme un aspic jusqu’à sa fraîche toison, met en valeur sa finesse. Dire qu’à peine rentrée du hammam tout à l’heure, elle s’est encore plainte.
- Pourquoi Khadija a ce grain de beauté et pas moi ? Et Aziza cette si belle cambrure !
- Par Dieu, laisse la vie te dire qui tu es, lui répond chaque fois Nouria. Chaque genre a ses charmes. Tu es Yasmina l’Unique. Et maintenant, Sofiane ou Mustafa ?
- Silence, vipère.
Sofiane ? Mustafa ? Tout est si compliqué. Comment savoir ? Ils sont tous les deux beaux comme des soleils. Rien que d’entendre leur nom aujourd’hui, Yasmina est prise entre honte et jubilation. Elle n’a même pas osé se nicher dans le moucharabieh pour attendre, comme chaque soir, leur retour.
La sanguine ! Tout le bazar ne bruisse plus que de cette affaire lui a dit Nouria ce matin. Yasmina a joué l’étonnée.
- Ignorais-tu qu’on t’épiait au hammam ? lui a fait Nouria.
Yasmina lui a répliqué en lui tirant la langue. Voici des lunes que les femmes plus âgées la complimentent là-bas pour sa beauté, tiraillées entre admiration et inavouables pensées. Elle se doutait bien qu’un dessinateur, caché derrière un paravent, épiait ses moindres mouvements, à l’affût d’une jolie posture. Et maintenant ?
Tout Fustat en fait ses gorges chaudes ! Que va dire Omar ? Ne va-t-il pas surgir et la corriger comme une ânesse ? Mustafa et Sofiane, que vont-ils penser d’elle ? Qu’elle se partage comme les millières, celles qui ont connu plus de mille hommes dans leur vie, comme Nouria ?
- Ton choix ? reprend Nouria.
- Aucun n’arrive à la cheville de « mon père ».
- Qu’en sais-tu ? As-tu oublié qu’ils nous ont protégées ?
- De toute façon, « mon père » veut que j’épouse un émir. N’importe lequel, sauf Ben Ramiz, dit Yasmina.
Elle le dit assez fort, que tout le voisinage l’entende de l’autre côté de l’impasse.
- Par ces temps ! Avec les firmans, leurs jours sont comptés, soupire Nouria.
Comment « la fille » du cheikh Omar trouverait-elle un mari aussi audacieux et intelligent que ce dernier ? Hormis Dieu, le Prophète et Al Hakim, personne n’est plus craint et vénéré qu’Omar. Connaît-on un fils d’Adam à la réussite plus fulgurante ? Omar, l’enfant de l’impasse devenu émir et prévôt du quartier de la Perle, négociant de toutes denrées, du bois à l’eunuque, de la soie à l’animal de compagnie.
Pourtant Yasmina passe ses journées à le défier. Que lui prend-il ? Elle qui souhaitait tant lui plaire jusqu’à la dernière crue ? Depuis l’émeute, Omar est devenu de plus en plus irritable, piquant des crises de nerfs à tout propos. Il a resserré sa surveillance sur Yasmina tout en n’osant plus rien lui refuser comme consumé entre deux feux.
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