Al Hakim
I
« Al Hakim, cinquième calife des Fatimides, descend de Fatima, la fille du Prophète. Il est le fils d’Aziz et le petit-fils d’Al Muiz, conquérant de l’Egypte. Aziz, son père, est un grand guerrier. Noble et juste, il gouverne l’Egypte d’une main de fer. Grâce à l’aide des Kutamis, la principale faction de l’armée Fatimide, il écrase les Abbassides. Sur son turban, Aziz arbore un diamant bleu. Al Muiz, son père, l’a trouvé devant sa tente juste avant de conquérir l’Egypte. Ce joyau serait tombé de l’astre que je t’ai montré hier soir. Il serait, une larme de la Méduse.
Un jour, voici une trentaine de crues, Sephora, la favorite d’Aziz, enfante Al Hakim. On l’appelle d’abord Al-Mansur, le Victorieux, un des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu. On ne lui attribuera le nom d’Al Hakim, le Sage, un des noms les plus prestigieux du Coran, qu’à ses onze ans. Un frère et une demi-sœur l’ont précédé. Muhammad et Sit al Mulk, de trois et cinq ans ses aînés.
« Dès sa naissance, Al Hakim fascine et inquiète. Quel trouble ! Ses yeux azurs paraissent plus menaçants que des lames de cimeterre. Leur éclat se confond avec le diamant d’Aziz. On s’émerveille, on s’inquiète. Qu’annoncent-ils ? Plus Al Hakim grandit, plus son regard brille, plus le diamant se ternit. Les mages commencent à murmurer que le sang de la Méduse lui coule dans les veines ; qu’Al Hakim lui appartient.
« Al Hakim est pourtant un enfant joyeux. Tout autour de lui, la vie n’est que bruissement d’étoffes, rires de servantes, chants et mélodies. Il aime se faufiler partout, tout regarder, tout écouter. Voir et être vu. Les femmes le chérissent. Elles le laissent volontiers glisser ses mains dans leur galebeya et goûter la chaleur de leurs seins.
«A côté d’Al Hakim, Muhammad, son frère aîné, paraît bien falot. Un enfant sans expression, toujours las, souffreteux, comme si son sang était frelaté. Il s’éteint vers ses huit ans d’une opportune embolie. L’avenir s’appellera Al Hakim.
« Sit Al Mulk, sa demi-sœur, peuple ses journées. Sit Al Mulk ! Tant de charme pour un seul être. Ses yeux dorés, sa bouche fraîche, sa peau mate et ses mèches blondes.... Elle lui conte des histoires, lui invente des jeux dont il est le héros. Elle chante et danse pour lui. Elle lui tisse des turbans, des masques et des carquois. Elle le fait rire.
« Pour la remercier, Al Hakim lui compose des odes et des poèmes. Il lui prodigue maintes attentions. Rien qu’il n’entreprenne pour elle, avec elle. Il n’y a qu’elle au monde.
« Vers cinq ans, Al Hakim commence à avoir des visions nocturnes. Aziz, son père, en fait souvent partie. Il les raconte à son réveil. Au début, Sit Al Mulk et Sephora l’écoutent distraitement. Mais bientôt Barjawan l’eunuque, grand chambellan de la cour, tend l’oreille. Il persuade Aziz d’instaurer le Conseil du Rêve pour recueillir les songes d’Al Hakim. Chaque matin, on installe l’enfant au milieu d’une grande salle, sur un trône, couvert d’un rideau de soie tissé de perles et de diamants. Comme une chenille dans son cocon prête à éclore. Jour après jour, Al Hakim dévoile ses rêves qui inspirent de nombreuses décisions. Beaucoup se révèlent d’heureuses prophéties. Un matin Al Hakim, comme pharaon éclairé par Joseph, raconte avoir « vu » une vache avec une tache blanche sur le museau. D’après Barjawan, elle annonce une année faste au début, néfaste ensuite. Avertis, les fellahs du Nil font des provisions à temps. La prophétie se réalise. L’Egypte est sauvée.
« Au fil de ses songes, crue après crue, Al Hakim devient la source d’espoir du peuple, sûr de son intimité avec Dieu. Les misérables n’en appellent plus à la Dame de Fustat, l’être magique qui préserve les humbles de l’injustice, mais au Tout Puissant, qu’il inspire à Al Hakim un rêve en leur faveur. L’Egypte connaîtra-t-elle une éternelle félicité ?
« Non. Le Diable veille. Ibn Ammar, le chef des Kutamis, complote contre Aziz. Les victoires lui ont monté à la tête. Au cours d’une campagne au Levant, il fait empoisonner son maître par un parfumeur. Aziz expire après trois jours d’agonie. Ibn Ammar prend aussitôt le pouvoir.
« Al Hakim, n’a que onze ans. Le voici déchu. Ibn Ammar le place sous la tutelle de Barjawan, l’eunuque. Pour asseoir son autorité, ce dernier multiplie les vexations envers Al Hakim. Il l’appelle « Mon petit lézard ».
« Retenu en otage dans ses appartements, Al Hakim cesse de rêver durant trois lunes. Quel désarroi pour le peuple ! L’Egypte sans rêve, sans espoir ! La foule gronde aux portes du palais. Ibn Ammar menace Séphora, la mère d’Al Hakim, de le faire exécuter. Comme par enchantement, des rêves finissent par lui revenir une lune plus tard.
« Que s’est-il passé ? Qui le saura jamais ? Al Hakim n’en a jamais parlé à quiconque. Acceptera-t-il un jour de révéler ce qu’il a vu et vécu aux cours de ces jours sans rêves où s’est forgée sa destinée, que nous comprenions enfin pourquoi tout est chamboulé à Fustat ? Chacun de ses sujets s’arracherait les yeux pour le savoir, pour entrer en plus étroite intimité avec lui, donc avec Dieu.
« Trois crues plus tard, Ibn Ammar, usé par les campagnes, s’éteint de sa belle mort, après avoir échappé à maintes intrigues. Barjawan l’eunuque prend la régence. Mais il manque de poigne. Le Palais entre en déliquescence. Beuveries et vols, complots et assassinats se succèdent entre factions. Jour après jour, Al Hakim sent brûler en lui le feu de la Méduse. Jour après jour, une envie de pouvoir démoniaque s’empare de lui, une folle envie de tout maîtriser, de ne plus dépendre de personne, ni des événements. Une envie de prouver à Sit Al Mulk qui il est vraiment. Un dragon prêt à souffler ses flammes. Une nuit, de rage, il fait occire sous ses yeux Barjawan dans les jardins du Palais. Il se lave ensuite les mains dans son sang frais et veille sur sa dépouille. A quoi songe-t-il au cours de cette veillée macabre ? Nul ne le sait.
« Au matin, à l’issue de la première prière, il descend vers la foule pressée aux portes du palais. La voix claire et grave, il déclare : « Dieu m’a dit : « Al Hakim, le Sage, tu es l’Unique interprète des rêves que je t’inspire » ».
Dès ce jour, chaque matin, Al Hakim promulgue ses firmans, tout en se dispensant de révéler les visions qui les lui ont inspirés. Au peuple d’avoir la foi. Des crieurs publics annoncent ses décrets au son du tambour, juste après Ashour, la première heure. Quartier par quartier. Qu’importe si le firman du jour contredit celui de la veille. Telle est la volonté de Dieu. Être gouverné par les rêves ! Quoi de plus naturel au pays de Joseph, le prophète et l’interprète des songes du pharaon ? Qui blâmerait Al Hakim ? Ses illusions ne s’inscrivent-elles pas dans la veine de l’Égypte éternelle ?
Et Sit Al Mulk ? Elle lui ferme sa porte et se donne à tout musicien de passage. Al Hakim se désespère. Une rumeur court. Sit Al Mulk aurait enfanté en secret d’une fille. Et l’aurait donnée à des fellahs du Nil pour qu’elle échappe aux foudres d’Al Hakim.
« Six-sept crues plus tard, Al Hakim « rêve » le Firman des Vierges. Un firman intemporel et valable tous les jours jusqu’à son accomplissement. Ce firman dicte qu’on lui présente les plus belles vierges d’Egypte. Une par jour, au moins. Jusqu’à ce qu’il retrouve en l’une d’elle l’amour que lui inspire Sit Al Mulk. Qu’importe qu’elle n’ait que sept ou huit printemps ? Il la gardera au palais. Et à ses premières règles… »
- Voilà, fait Théo en posant sa voix. Depuis trois crues, les marchands d’esclaves et d’eunuques de Fustat, comme Omar et Ben Ramiz, les plus prospères de la cité, se démènent pour Al Hakim. Jour après jour, leurs felouques partent chercher des vierges jusqu’à la cinquième cataracte. Au grand dam des fellahs qui voient leurs enfants disparaître, les uns après les autres. En vain. Aucune vierge à ce jour n’a plu à Al Hakim.
*
en version papier, grand format, tirage de tête
(422 pages, format 14,8x21 cm, broché)
ou
...et en version électronique compatible Mac, PC, Kindle, Ipad, Iphone, Androïd :
la Missive sur Amazon.com
La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7
Madame Kremer, vous n'acceptez pas la diiputatso. c'est bien dommage. vous ne connaissez que les demeures orientees plein sud .
Rédigé par : Honey | samedi 25 fév 2012 à 10h41
Ah, mais moi je suis pdeure dnas vos surnoms, il va falloir me faire une notice explicative, parce que je sias pas qui parle en "vrai"... A part Titi!! hi hi
Rédigé par : Bethel | lundi 27 fév 2012 à 07h08