L’initiation
- Ce n’est pas ton heure ! fait Myriam.
« Me le répèteras-tu chaque soir ? » se dit Augustin en se passant la manche de sa galabeya sur son front perlé de sueur. Une nouvelle journée de labeur s’achève.
Dès qu’il vient voir Myriam, Augustin ne peut s’empêcher de lorgner derrière elle. Le sac de jute n’a pas bougé. Posé sur le billot. Avec la tête de la Méduse dedans. Celle ramenée par Athanase, le grand aïeul. Myriam a resserré la cordelette, pour empêcher Papyrus le chat de l’ouvrir.
Combien de fois Augustin s’est-il approché cette année de la hutte, espérant trouver la force d’entrer et de découvrir la Méduse ?
- Tu dois d’abord la vaincre là, fait Myriam en lui pointant le doigt sur le cœur.
Douze lunes qu’Augustin se jure de le faire. Un jour. Douze lunes que Malika a disparu. Au centième nœud, au centième jour de sa disparition, Augustin a commencé à creuser, pour chaque lune écoulée, une encoche dans un noyau de datte. Douze encoches, une crue. Toujours pas de Malika. A chaque nouvelle entaille, il lui semble entendre sa petite voix lui réciter les Cent Noms de Dieu.
« Le Tout Puissant, le Vengeur, l’Omniprésent… »
Sa gorge se serre alors, sa tête s’alourdit, ses yeux se voilent d’une brume opaque. Il pleure.
Théo dit que les enlèvements de jeunes vierges se poursuivent le long du fleuve. Si Al Hakim n’a pas trouvé sa moitié, pourquoi ne lui rend-il pas sa Malika ?
*
En attendant, que faire ? Vaincre la Méduse dans son cœur ? Par son labeur ?
« Quand la terre aura forgé ton corps et ton esprit, tu seras prêt, lui répète Myriam. Tu pourras l’affronter. »
Jour après jour, coup de bêche après coup de bêche, Augustin s’éreinte le dos, sue de la tête aux pieds. Jour après jour, ses mains se couvrent de calles. Lune après lune, ses traits et ses muscles s’affermissent. La terre lui inflige autant de souffrance qu’elle lui donne de force et de vérité.
Soir après soir, Myriam lui révèle ses secrets pour mieux la faire fructifier. Elle lui apprend à verser son sang sur une graine pour obtenir des oranges rouges, à en tremper une autre dans du sirop pour donner un fruit sucré, à réaliser des greffes, à élargir des palmes d’un arbre en lui présentant l’eau à l’extrémité de ses feuilles. A défaut de braver la Méduse, elle lui montre comment chasser d’un champ les afrites venus du désert en plaçant des tessons de terre cuite peints ou gravés d’un homme affrontant un lion ; ou les éveiller en empotant des racines dans un crâne de momie. Myriam lui enseigne cette semaine à inciser les plaies dues à une piqûre de serpent.
Au lieu de semer un grain de riz ou de coton pour en récolter trois comme Paul, Augustin veut en semer deux et en récolter douze. Plus vite il aura « racheté » la vie de Malika, plus vite il sera libre d’aller la chercher, quitte à affronter Al Hakim en personne. Pour de bon.
Oui, un jour, juste avant de partir, il découvrira la Méduse. Oui. Le sac d’Athanase d’abord, Al Hakim ensuite. Il le fera. Dans cet ordre. La première épreuve lui donnera l’audace d’affronter la seconde. Il pourra quitter Konios sans crainte de l’avenir. Sans Théo à ses talons.
*
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