Deuxième partie
LA MISSIVE
Le parfumeur
I
- Ahhhhhhhhhhhhhh
Les hurlements de Koufra s’évanouissent dans le firmament. Dieu merci, son agonie fut brève. Ses membres ébouillantés ont cessé d’un coup de tambouriner contre les parois du chaudron où l’Aga (le chef) de la voierie et ses desservants viennent de le précipiter.
Un long silence plane sur la place de la Perle et ses trois impasses, à peine interrompu par les claquètements de cigognes. La poussière encore en suspension dans l’air couvre les environs d’un voile léger où semble se fondre la lumière déclinante. On ne distinguera bientôt plus un fil blanc d’un fil noir.
L’Aga et ses desservants s’en vont. Une des mains bouillies de Koufra émerge de l’eau comme prise d’une dernière convulsion. Elle semble leur dire adieu.
L’Agha tient sa main droite emmitouflée dans sa ceinture. La douleur ride son visage. Quel bon tour lui a joué Koufra ! Malgré les flammes qui dansaient sous le chaudron rempli d’eau où il était entravé, il souriait.
- Pourquoi te réjouir ? Tu es en train de bouillir, lui a fait l’Agha déconcerté.
- L’eau est froide.
L’Agha a trempé sa main dans l’eau pour vérifier. Hurlant, il a ressorti sa main ébouillantée. Koufra, vengé, a pu à son tour s’abandonner à sa souffrance.
Hésitant, Gala, un chien du quartier, finit par s’approcher du chaudron. Il se dresse sur les pattes arrière et, après quelques sauts de cabri, attrape la main. Pendu à elle, il l’agite convulsivement. A droite, à gauche. Le chaudron se met à gîter, déversant quelques gouttes d’eau encore brûlantes sur son museau. Gala lâche prise. Il fait mine d’aboyer mais aucun son ne sort. Sur son cou tendu, une large cicatrice s’étire d’une oreille à l’autre, comme un sourire. Gala est un des rares survivants du firman dit « sus aux chiens » promulgué par Al Hakim. Il commandait il y a deux crues d’égorger tous les chiens de Fustat au prétexte que si les anciens égyptiens vénéraient Anubis, le Dieu des morts à tête de chien, Dieu le Miséricordieux révélé par le Coran, Lui, n’aimait pas être associé à d’autres divinités.
Pris de remords, Al Hakim, a décidé depuis trois lunes leur retour en grâce. Les chiens n’ont-ils pas finalement été voulus par Dieu ? L’un après l’autre, comme Gala, les rescapés reviennent des cimetières où ils s’étaient réfugiés.
Plus un bruit. Etrange atmosphère. L’air paraît saturé. Le khamsin, le vent du désert, va-t-il se lever ?
Pauvre Koufra. Le Quartier de la Perle n’entendra plus le son mélodieux de sa voix. Il ne pourra plus se réjouir de ses blagues et de ses manières obséquieuses. Ses débiteurs sont quittes. Qui avouera la jouissance qu’il éprouve de souffler encore alors que Koufra vient d’expirer ?
*
Al Hakim, peut être satisfait. Son firman du jour est honoré. Inspiré par le Très Haut, il a rêvé la nuit dernière qu’il fallait supprimer les parfumeurs car le parfum émane de la nature, œuvre de Dieu. Le concentrer dans une bouteille, n’est-ce pas répondre à l’appel du Malin comme le faiseur d’essences qui a jadis empoisonné Aziz, son père ? Si Koufra n’est plus, les parfumeurs épargnés ce soir peuvent s’endormir sur leurs deux oreilles. Ils ne seront plus inquiétés avant longtemps car chaque jour, le nouveau firman d’Al Hakim chasse celui de la veille.
*
en version papier, grand format, tirage de tête
(422 pages, format 14,8x21 cm, broché)
ou
...et en version électronique compatible Mac, PC, Kindle, Ipad, Iphone, Androïd :
la Missive sur Amazon.com
La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7