V
- Imbécile, qu’espérais-tu ?
Théo a le visage empourpré, fiévreux. Son regard clair, si avenant quand il raconte ses histoires aux veillées, brille de colère.
- Qu’est-ce qui t’a pris ? Une journée à te chercher !
Augustin va parler. Il se met à pleurer. La veille, Jean, son père, lui a parlé avec moins de rage.
Théo lui attrape le bras.
- Viens, fait-il en le poussant vers la berge, en amont, où il a échoué sa felouque.
A peine ont-il rejoint l’embarcation, qu’Augustin se précipite sur l’outre d’eau et les bananes vertes logées sous un banc, manquant de s’étouffer.
*
Le soleil s’éteint. Une lumière rose s’épand sur le fleuve et l’horizon, diluant l’un dans l’autre. Ils rentrent. Enserrant de ses bras son ventre contrarié par sa boulimie, Augustin désigne la direction de Fustat d’un hochement de tête.
- Il faut les suivre.
Théo hausse les épaules puis jette aux pieds d’Augustin un morceau de bois humide. Ce dernier le ramasse, penaud. Il reconnaît un morceau de coque de felouque.
- Ca flottait tout à l’heure à côté d’un rocher. Qui te dit qu’ils n’ont pas bu la tasse ?
Augustin secoue la tête incrédule.
- Si les crocodiles ne les ont croqués, ils ont une nuit d’avance. Trop tard.
Souffle après souffle, la brise leur fait remonter le courant vers Konios.
Par intermittence, Théo est pris d’un coup de sang. Comme s’il avait aspiré une pleine jarre de haschich.
- Les marchands d’huile, si on les croise, tu montes à l’abordage ?... Es-tu si pressé de boire le fond du fleuve ou de te retrouver eunuque dans un harem ?...A quoi penses-tu ? Aller à Fustat ? Dénicher Al Hakim et lui demander de te la rendre ?
Augustin se met à rougir.
- Je n’y crois pas… Tu y as pensé. Toi qui chie de peur devant le sac d’Athanase.
Augustin baisse la tête, se lamentant : « Ma Malika, tu es donc à lui ».
La voix de Théo le tire soudain de sa prostration.
- Le sang de la Méduse coule dans ses veines. Tout vient à lui. Tout. On n’y peut rien. Depuis le Firman des Vierges les enfants disparaissent par dizaines. On ne les retrouve jamais. Oublie-la.
Augustin reprend entre deux sanglots.
- Elle est à nous, à moi…
- Qu’en sais-tu ?
Théo parait hésiter, comme le barbier hésitant à faire crever un abcès trop frais.
- Malika… son visage, son air, son allure… Tu ne t’es jamais demandé pourquoi elle ressemblait si peu à ses parents ?
Augustin redresse la tête, décontenancé.
- Tu ne t’en souviens pas. Tu étais trop petit. Il y a neuf crues. C’était à l’époque de la grande disette. A Fustat, des faméliques perchés sur des terrasses attrapaient des passants dans la rue, avec des cordes et des crochets. Il les hissaient à eux et les dépeçaient sur place pour les manger. J’ai moi-même failli y passer. Voilà qu’un jour sur le port une femme misérable m’a supplié de prendre son nourrisson contre une piastre et quelques fruits. Oussama et Marjane ne pouvaient avoir d’enfant. Ce petit bout serait pour eux un cadeau du ciel.
Augustin, la moue dubitative, va répliquer. Théo lève le bras, comme il fait au cours de veillées, pour retrouver le calme des enfants tout excités par ses histoires.
- C’était écrit. Malika est à Fustat. Juste retour du destin. Qu’y pouvons-nous ? Al Hakim l’a décidé. Par centaines les vierges viennent à lui. Tant qu’il ne se sera pas consolé de Sit Al Mulk…
Après de nouveaux sanglots Augustin hasarde :
- Al Hakim, il existe pour de vrai ? La Méduse et lui…
- Oui.
Après un long moment de silence, Théo reprend :
- Veux-tu connaître son histoire ? Ce que Konios refuse d’entendre ?
Augustin opine du chef.
- Tu es prêt ? Ouvre tes oreilles…
Avec son talent de conteur, Théo commence un long récit où, au rythme de la brise, il relate la destinée merveilleuse et terrifiante d’Al Hakim.
*
en version papier, grand format, tirage de tête
(422 pages, format 14,8x21 cm, broché)
ou
...et en version électronique compatible Mac, PC, Kindle, Ipad, Iphone, Androïd :
la Missive sur Amazon.com
La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.