La fugue
I
« Malika ! ». C’est elle. Devant lui, en pleine clarté. Il la reconnaîtrait entre mille. Cette démarche alerte, ce petit corps où tout frétille de joie, ces mains aux longs doigts fins. Elle déambule tranquillement sur la digue. Elle lui montre son dos, la tête recouverte d’une capuche.
Tout guilleret, il se met à trotter, la peau caressée par la brise tiède qui fait frissonner les roseaux. Une, deux, trois foulées. Il la dépasse. Quelques pas encore et il pirouette. Par Dieu. Il n’en croit pas ses yeux. Malika ! Le temps qu’il lui soit passé devant, elle vient de doubler de taille. Ses doigts ! Longs et crochus comme des serres.
L’éclat bleu azur de son regard perce l’ombre de sa capuche évasée. Est-ce encore elle ? Captivé autant qu’apeuré, Augustin ne parvient à s’en détourner. Malika laisse retomber sa capuche sur ses épaules. Horreur ! Son visage s’est parcheminé. A la place de ses longs cheveux, fins comme de la soie, de grosses nattes frétillantes. La Méduse ! Il ne doit pas la regarder. Elle va le pétrifier. Soudain, une des nattes se déroule puis, d’un coup, se dresse en l’air. Les mains sur les yeux, Augustin part à reculons. Un aspic géant. Un, deux, trois pas… Il virevolte.
La Méduse le laisse détaler. Une deuxième natte s’étire de son crâne. Puis une troisième… Les aspics commencent à s’allonger comme s’ils pouvaient s’étendre à l’infini, doublant, triplant… décuplant de diamètre. Soudain, plus rapides qu’une flèche, ils fusent sur Augustin qui accélère. Ils lui sifflent au creux de l’oreille. Trop tard. Une, deux,… Trois têtes. Les aspics l’ont dépassé. Trente toises plus loin, ils virent d’un coup pour lui barrer la route. Droits comme des roseaux, ils s’élancent jusqu’à la cime des arbres. Soudain, la gueule grande ouverte, les crochets gonflés de venin, ils lui plongent dessus avec un sifflement assourdissant.
II
- Ahhhh !
Augustin se redresse sur sa paillasse, livide. Son dos ruisselle de sueur. Du plat des mains, il tape autour de lui, tout en recroquevillant les jambes. Les aspics, où sont-ils ? Devant ? Derrière ? Où ? Nulle part ? Un cauchemar ?
Il reprend son souffle.
A travers la porte entrouverte de la hutte, il distingue à peine un fil blanc d’un fil noir. La pique du jour. Autour de lui, Jean et Hélène, ses parents, Paul… tout le monde dort. Qui l’a ramené là ? Théo ?
Il enfile sa galebaya et sort sur la pointe des pieds. Une légère brume s’échappe du marais, couvrant de son voile d’ouate les abords du village. Konios sommeille encore hormis les roucoulades de pigeons et le caquètement des poules à la recherche de vers.
Augustin se dirige vers le repère de Myriam. Se sentant épié, il s’arrête et pivote. Là-bas, à droite, une petite frimousse vient de fendre le rideau d’une hutte. Lydia. La petite Lydia, la fille d’Achille, le meilleur ami de son père. Si mignonne avec son petit nez tout rond et son épaisse tignasse dorée. Elle aimerait tant qu’il s’occupât d’elle comme de Malika. Mais peut-on partager son cœur quand Malika existe ? L’index posé sur les lèvres, Augustin lui fait signe de se taire. Il poursuit son chemin vers la hutte de Myriam.
La cabane est cerclée par un labyrinthe d’amulettes qui pendouillent à des morceaux de bambou : huppe de geai, sachet de cendre, bave de limace... Autant de colifichets pour effrayer les afrites, les mauvais esprits du désert. Les ennemis des djinns. Prudence ! Passant par l’arrière, Augustin se contorsionne pour les éviter. S’il en touche un ? Le mauvais œil sur lui.
Un, deux, trois pas. Il atteint le mur en pisé, à la hauteur d’une grosse lézarde. Il pose son œil à travers. Il balaie la pièce du regard s’habituant peu à peu à la pénombre. Le contour des objets se révèle à ses prunelles ensommeillées. Quel fouillis ! Des dizaines de pots s’alignent sur des étagères de planches. Ils regorgent d’autant de potions qu’il y a de maux à soigner à Konios. De la pommade pour soulager les piqûres de guêpes aux herbes pour lutter contre l’ophtalmie, du breuvage pour femme stérile au stimulant pour impuissant… Rien ne manque. Comment fait Myriam pour dormir au milieu de ces senteurs et remugles abrutissants ? Théo prétend qu’elle a concocté une mixture magique qui permet à une fille déflorée de « retrouver » sa virginité pour sa nuit de noces. Le « baume du Diable » selon Siméon, le prêtre. La « Paix des clans » pour Antonin, le patriarche du village.
Roulée dans son haillon, la chamane ronfle.
*
Où est-elle ? A droite, à gauche ? Augustin la cherche. Il ne la voit pas. A-t-elle disparu ? Comment la dénicher dans ce capharnaüm ? La voici. Au centre de la hutte, posée sur le billot. Encapuchonnée par le sac de jute aux mailles distendues. C’est elle. Pas de doute. La tête renversée de la Méduse. Celle qu’Athanase a tranchée depuis plusieurs lustres.
« Mon aïeul, quel courage ! » se dit Augustin pour la énième fois.
Enfermée dans le sac, elle paraît si inoffensive. Et pourtant… Que quelqu’un s’avise de l’ouvrir et la Méduse le pétrifie sur place. Y songer, n’est-ce pas déjà la défier ?
Augustin tressaute. La cordelette filandreuse qui ferme le sac se met à vibrer. Il écarquille les yeux. Un aspic s’échapperait-il ? Non. Cette petite patte grise… Papyrus, le chaton de Myriam. Il taquine la ficelle.
« Le malheureux ! Il va te réveiller, Méduse. »
Papyrus accroche la cordelette avec une griffe et tire dessus. Le sac gîte. Un coup sec. Le fil lâche.
Le sac retrouve son aplomb sur le billot. Augustin soupire. Trop tôt. Papyrus se recroqueville sur lui-même et bondit jusqu’au faîte du sac. Ses pattes avant s’y accrochent comme des serres d’aigle, tandis que ses pattes arrière pédalent dans le vide. D’un coup de reins, elles finissent par trouver prise. Papyrus se hisse sur le nœud au sommet. En équilibre, les trois pattes raidies, il tente avec la quatrième de dépiauter la grosse ficelle. Trop serrée. Elle lui résiste. Il s’aide d’une deuxième patte. L’insensé. Va-t-il découvrir la tête ?
Augustin hésite à fuir. N’est-ce pas l’occasion de voir la Méduse pour de vrai, sans être l’auteur de ce défi ? Donc échapper au mauvais œil. Une façon de se sentir hardi, sans renoncer à sa lâcheté.
Vlan ! Papyrus dégringole par terre et roule sur lui-même. Excité par la chute, il retente sa chance. Une fois,…deux fois… Il tombe à chaque reprise. A la cinquième, éreinté, il renonce.
Augustin reprend son souffle. Soudain, il sent une brusque poussée dans le dos qui le fait s’aplatir contre le mur.
- Entre, lui fait une voix moqueuse.
Il pirouette, le visage égratigné par les pointes des pailles mêlées à la terre du mur. Paul ! Le gredin.
Dérangée, Myriam se retourne sur sa natte en bougonnant.
Augustin s’éloigne de la hutte, bousculant plusieurs amulettes au passage. Paul le suit.
- Le peureux, le peureux…
- …Malika ? fait Augustin, à peine sorti du labyrinthe.
- Pshitt, répond Paul, en désignant la direction de Fustat comme Théo la veille. Envolée, disparue… Par ta faute.
Augustin fronce le nez en signe de déni.
- L’aigle, c’était ton idée.
- Tu l’as abandonnée. Ibis déplumé… Ibis déplumé…
Augustin accélère le pas le long de la plage, Paul aux talons.
- Où vas-tu ?
Il se tait. Paul lui attrape le bras.
- Arrête.
Augustin se libère d’un coup sec et court vers le marais. Paul le poursuit.
- Reviens.
Indifférent aux morsures des branches, Augustin saute au-dessus des taillis puis se faufile entre les langues de terre.
Essoufflé, Paul l’appelle :
- Allez, reviens… Je vais me faire battre.
Augustin poursuit sa course, tout droit, sans se retourner.
*
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La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7
CADAVRE : Vous n'etes qu'un vil poearcvtour et je ne tomberai pas dans votre piege ! Vous savez tres bien que tout oppose trompe-l'oeil et hyperrealisme, tant au point de vue de la technique picturale que du message delivre.En verite, vous voulez me faire bosser un dimanche. Alors que .
Rédigé par : Vansh | samedi 25 fév 2012 à 09h45