Les aigles
IV
Cette après midi, Augustin a entraîné Malika au pigeonnier où, chaque matin, il recueille le guano des oiseaux pour l’épandre sur les cultures. Il voulait lui parler du djinn qu’il prétend avoir apprivoisé en cachette. Toute fière, elle l’a interrompu en brandissant le chapelet qui ne la quitte jamais. Un chapelet avec ses quatre-vingt-dix-neuf « grains », quatre-vingt-dix-neuf noyaux de datte. Un noyau pour chacun des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu révélés au Prophète par l’archange Gabriel. Les croyants d’en face le récitent au moins une fois par jour. Ils appellent cette prière le dhikr.
- Ecoute, écoute. Je le connais par cœur.
Avant qu’Augustin n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche, Malika a commencé sa récitation, en faisant glisser entre ses doigts chaque noyau de datte après l’autre.
« Dieu,... Le Miséricordieux,… Le Clément,… Le Souverain,... Le Sanctifié,... La Paix..., Le Confiant... Le Dominateur,... Le Tout Puissant,… Le Contraignant... Le Superbe,... Le Créateur..., Le Novateur... »
Augustin les a répétés en silence, espérant en retenir le plus grand nombre.
« …Le Patient ! »
- C’est fini, a fait Malika, essoufflée par sa récitation des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu.
Elle n’en connaissait que la moitié la semaine dernière.
- Il en manque un, a dit Augustin en désignant la petite corne qui relie à chaque bout les quatre-vingt-dix-neuf grains.
- Chut !
Augustin a écarquillé les yeux.
- C’est tabou. Tu n’as pas le droit de le dire.
- Pourquoi ?
Sur le ton récitatif d’une leçon bien apprise, Malika a fait :
- C’est le Centième nom. Personne ne le connaît. Il n’y a que Dieu qui peut le dire. Et quand il le fera…
Elle a ouvert ses longs bras fins tout en décrivant avec un grand huit comme l’infini.
- Patatras, le monde changera.
Et elle s’est mise à sourire.
*
Ils ont ensuite renouvelé à voix basse le serment qu’ils s’étaient fait à la dernière crue.
« On ne se quittera jamais. On s’aimera toute la vie. Croix de bois, croissant de fer, si on ment on va en enfer ».
Lorsque Augustin s’est levé pour la raccompagner, Malika lui a donné le chapelet.
- Non.
- Si, pour quand je ne suis pas là. Apprends les quatre-vingt-dix-neuf noms, j’apprendrai tes prières.
Ils se sont ensuite entaillés le pouce avec une pointe de tesson. Augustin a tracé une croix rouge sur le front de Malika. Elle, hésitante, un quart de lune sur le sien. Ils se sont jurés de se les faire tatouer bientôt, que Dieu, le jour du jugement dernier sache combien ils s’étaient aimés sur Terre.
*
V
- Venez, on joue à l’aigle !
Paul ! Il les attendait en bas du pigeonnier en compagnie d’une dizaine d’enfants.
Furieux, Augustin, s’est pincé la lèvre tout en renâclant du chef.
- Poule mouillée. Malika tu joues ? a fait Paul.
- Oui. Oh, oui !
Augustin lui a attrapé la main.
- Je te ramène.
Paul a insisté.
- Pas plus d’une griffure pour elle. Quel que soit son tour.
- Je t’en prie, a fait Malika à Augustin, avec cette lueur enflammée au fond de ses prunelles dorées. Quel regard ! Il lui parait si familier, si éternel, comme faisant partie de lui-même. Un firmament à lui tout seul.
Se maudissant, autant qu’il maudit Paul, Augustin s’est incliné.
Son aîné, aux anges, savait qu’Augustin ne quitterait pas Malika d’une semelle. Qu’elle le ralentirait. Il pourrait enfin prendre sa revanche, sur ce petit frère trop audacieux à qui tout sourit. Celui qui lui fait de l’ombre depuis sa naissance. Ce petit frère à face d’ange, si doué pour s’occuper des pigeons, pour cultiver et pour connaître le secret des plantes. Augustin, le préféré des parents, de Myriam la chamane et surtout de Malika, la princesse du marais. Mais aussi de Lydia, l’autre jolie fille du coin, qui n’a d’yeux que pour lui. C’est assez. Il doit payer. Cette partie d’aigle sera l’occasion de lui donner une bonne leçon.
*
Tout à sa jubilation, Paul a présenté aux joueurs une besace remplie de tessons de jarre. Qui tire le tesson marqué à l’encre devient l’aigle royal. Celui qui frappe le premier, sans jamais recevoir de coup.
Dès qu’un des enfants tentait de piocher au fond de la besace, Paul la secouait, tout en paraissant retenir entre ses doigts un des tessons du fond.
- Tu triches, a dit Amphytrion.
- Tu regardes dans le sac, lui a répliqué Paul.
Vint le tour d’Augustin. Ne restaient plus que deux tessons dont celui qui désignait l’aigle royal. Il hésitait.
- Quoi ? lui a fait Paul.
- Si Malika atteint sur la digue la rive de son village, elle est libre.
- Et j’appellerai pour dire que j’y suis. Ce sera la preuve, ajoute Malika.
Paul a éloigné le sac.
- Pas question !
La digue ? La seule chance d’Augustin. Affranchi de Malika, il sera plus difficile à attraper qu’un lézard.
Dégoûtés par son intransigeance, Amphitryon et Périclès ont commencé à ciller devant Paul. Forcer son avantage alors qu’il avait une chance sur deux d’être l’aigle royal ! Paul s’est ravisé.
- D’accord.
Augustin a pioché son tesson. Immaculé. Se forçant à masquer sa joie, Paul a brandi le dernier, frappé d’une tache d’encre.
*
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La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
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Rédigé par : Manish | samedi 25 fév 2012 à 13h40
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Rédigé par : yjimqrf | lundi 27 fév 2012 à 16h43