La Missive
I
« Allahou akbar... Allah est le plus grand...Je témoigne qu’il n’y a point d’autre divinité qu’Allah... Je témoigne que Mohamed est le Prophète de Dieu... Venez à la prière...».
As’hour, la première heure du jour. L’appel de Bachir le muezzin d’Al-Azhar s’envole dans les cieux. A peine s’évanouit-il qu’il est repris de minaret en minaret : « Allahou akbar...».
Crissh…
La porte du grand immeuble délabré, à moitié enfoncée dans le sol et barrée par une planche pour empêcher les serpents ou les scorpions d’entrer, s’entrouvre.
Hésitant, Sofiane pointe le nez dehors.
- Alors ? dit Mustafa, posté derrière lui.
- Rien.
- Tu as entendu le tambour ?
- Il va rouler.
- Il est toujours à l’heure.
- Qu’est-ce ça change ? Les firmans d’Al Hakim, ce n’est pas pour nous.
« Que craindre en dehors de notre séparation ? », n’ose ajouter Sofiane.
Ils sortent. Pas un chat. Le silence règne alors qu’à cette heure tout s’agitait déjà hier. Ils viennent de prendre leur maigre petit déjeuner de fenugrec et de tisane avec leur père aveugle. Comme chaque matin depuis huit crues, ils partent pour le bazar avec une seule idée en tête. Travailler d’arrache pied, tout porter à tour de bras, sillonner le bazar de long en large. Accepter les tâches les plus rudes et les plus ingrates, ravaler leur fierté, tout endurer pour sortir de la misère. Cette misère qui a tué leur mère et leur sœur en leur interdisant d’acheter les médicaments qui auraient pu les guérir lors de l’épidémie qui les as emportées. Mustafa et Sofiane, unis dans cette lutte à la vie, à la mort. Si Yasmina n’existait pour les diviser !
*
Les jumeaux s’engagent dans l’impasse.
Au bout de quelques toises le pied de Mustafa soulève une sorte de pièce légère. L’objet retombe à deux pas. Intrigué, les yeux encore ensommeillés, il s’abaisse. Sofiane lui retient la manche. Un détritus dédaigné par les chiffonniers ou par la « Chose » en vaut-il la peine ? Mustafa la ramasse quand même.
« Un pli ! Avec ce tas de cire aux pourtours boudinés. Un sceau ? Une missive ? Que fait-elle ici ? Qui l’a perdue ? Qui est assez important dans cette impasse pour en être l’auteur ou le destinataire ? ».
*
Mustafa n’en a jamais tenue entre les mains, seulement vue de loin. On ne confie les missives qu’aux « messagers », la corporation la plus prestigieuse de Fustat après celle d’écrivain. Mani leur patron au bazar ne leur laisse même pas porter les siennes.
Sa texture semble inhabituelle à Mustafa. Plus lisse que du parchemin ou du papyrus. Plus fine, plus douce, plus noble. Par quel prodige obtient-on cette matière ? Au recto, la missive présente une jolie calligraphie, aux traits cursifs, bien déliés. Mustapha ne sait lire que son nom. Aussi, balance-t-il le regard de droite à gauche à la recherche d’une des cinq consonnes qu’il connaisse. Il croit reconnaître un « m » qu’il murmure. Le gros cachet de cire qui la scelle semble figurer, un nom ou une citation calligraphiée en spirale.
Sofiane trépigne.
- Montre.
Mustafa lui tend la missive, tout en lui adressant ce clin d’œil qu’ils échangent dès que l'un d’eux se retrouve avant son jumeau face au destin, afin d’en partager joies et malheurs, à parts égales. Qu’y change Yasmina ? Si l’ombre d’une rupture hante les jumeaux, une fraternelle discipline l’emporte encore. Au point qu’ils ont resserré leurs liens, hésitant l'un comme l’autre à franchir le pas d’une brouille. Chacun s’échine à partager avec son frère la moindre petite chose, jusqu’à lui en réserver la meilleure part. Chacun redouble de prévenance pour l’autre comme pour conjurer les nuages qui s’amoncellent. Mais que ne donnerait Mustafa ou Sofiane pour que leur père aille réciter la Fatiha avec Omar, pour son compte !
*
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La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7
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