La leçon de danse
II
Yasmina danse, danse… Pour oublier. Par delà Sofiane et Mustafa, son trouble n’est-il pas plus profond, plus lointain ? Quel que soit l’homme qui la prenne pour la première fois, comment recouvrer cette unité dont lui parle toujours Nouria et qu’elle sent avoir perdue avant même d’avoir vécu ? Cette impression qu’elle avait, il y a si longtemps de n’être qu’une entité, forte, éternelle, durable ? D’avoir trouvé sa moitié, sans laquelle il ne peut y avoir de bonheur sur cette terre. Son âme sœur.
Quand était-ce ? Il y a si longtemps. Jamais peut-être. Où était-ce ? Ailleurs, très loin, dans un autre pays. Dans un rêve ? Oui ce rêve. Etrange. Il lui revient chaque nuit.
*
« Es-tu là ? »
Le songe commence toujours par cette voix… Chaude, douce, rassurante, légèrement cassée, la voix l’appelle. Le rêve se poursuit. Toute étourdie, Yasmina interrompt sa danse. Elle est nue au milieu des joncs, au bord du fleuve. En pleine nature. La brise caresse son corps, le soleil le réchauffe. Dans cet Eden, tout n’est qu’harmonie et clarté. Tout est promesse de plénitude, d’amour et d’innocence. Comme si quelque chose d’inatteignable, qui n’existe qu’en songe, lui offrait sa grâce. Comme si les fées se penchaient sur elle. Aurait-t-elle embrassé l’infini à force de danser comme Nouria lui a enseigné ?
« Es-tu là ? ».
Encore cette voix. Si familière. Lui ? Oui. Il l’attend. L’être indéfinissable dont elle sent le regard posé sur elle. L’autre partie d’elle-même, sa raison d’être. Il est là. Où ? Devant. A quelque pas. Elle le devine. De l’autre côté d’un léger rideau de brume. Elle sent sa présence, son odeur. Pour le retrouver, pour l’étreindre, pour l’embrasser, pour se lover dans ses bras, il lui suffit de fendre l’ouate. Elle hésite. Trop de félicité ne risque-t-elle pas de la consumer ? Elle tend la main, comme si elle n’osait y croire. Il va la prendre et se fondre à elle. Qu’attend-t-il ? L’ouate se met à vibrer, comme traversée par un souffle. Elle s’épaissit et s’étend. De blanche elle vire au gris puis au noir. Elle devient une fumée âcre et suffocante. Elle enveloppe Yasmina, lui brûle les bronches. Une tornade ? Un brasier ? Elle se met à crier, à supplier…
Soudain une force irrésistible l’emporte.
Elle se réveille, en nage.
« D’où viens-je ? Où vais-je ? » ne cesse de se demander Yasmina.
Elle se sent si différente de Khadija, d’Aziza ou de Zeina, ses amies du hammam. Aucune n’est tourmentée comme elle. Elles ont déjà en tête le nom de l’homme qui les épousera, choisi par leur père, et s’en contentent.
Tant de questions et d’indécision. Pourquoi ?
- Tu es née sous le signe de la Balance, lui dit Nouria. Tu donnes l’image de l’équilibre, à toujours mesurer le pour et le contre. Tu es à sa poursuite constante. Tu ne l’atteins jamais. Le lot de chacun. En double chez toi.
- Je suis d’ailleurs lui rétorque Yasmina.
*
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