La fugue
III
« Le Clément, Le Miséricordieux, Le Tout Puissant, L’Omniscient, … ».
Augustin a sorti de sa poche le chapelet de Malika. Il l’égraine depuis un quart de chandelle en longeant le fleuve, vers Fustat.
Les uns après les autres, il se récite les noms de Dieu dont il se souvient, dans le désordre. Au cinquantième noyau, à sec, il se répète les noms dans un nouvel ordre. Jusqu’à ce qu’il atteigne la corne. Le Centième Nom de Dieu. Non révélé. Imprononçable par une bouche humaine. Il reprend ensuite sa récitation, noyau par noyau.
Parfois, en guise de variante, il double chaque nom de Dieu, par un nom d’amour pour Malika.
« Le Vengeur,… Ma colombe,… Le Sage,… Mon trésor »
Parfois, il ferme les yeux en tendant la main dans le vide. Espérant que Malika, réapparue, par une subite opération du Saint Esprit, va la lui attraper.
Il a semé Paul depuis longtemps. Sur les berges tout est tranquille. Qui croirait que la tempête a soufflé hier ? Hormis quelques palmes et branches de tamaris cassées, quelques joncs couchés ou entremêlés, le marais parait presque intacte.
Du Nil, Augustin ne connaissait que la portion de Konios, logée dans un de ses coudes, où le courant semble ralentir, comme pour recouvrer sa vigueur avant de reprendre son rythme jusqu'à Fustat. Augustin a fini par croire ce fleuve plus large que long, un peu comme un lac. Il n’en est rien.
Au bout d’une demi chandelle, les questions, toujours les mêmes, reviennent le tarauder.
« Ma Lune, où es-tu ? Au fond du marais ? La Méduse t’a-t-elle dévorée ? Al Hakim t’a-t-il enlevée ? Es-tu sur la felouque des « marchands d’huile » ? Es-tu là-bas, déjà ? Al Hakim, si tu es la Méduse, n’as-tu pas le pouvoir d’accélérer son voyage ? Ma Lune, mon Espoir, qui veille sur toi ? »
« Ma Malika ! Si tu étais encore là. Si tout était rentré dans l’ordre. Si cette partie « d’aigle » n’était qu’un mauvais rêve.
« Si je te retrouve, on ne se quittera plus. Croix de bois, croissant de fer…»
Pas après pas, nom de Dieu après nom de Dieu, sa résolution se forge.
« Fustat ? Trois jours de felouque. A pied ? Sept jours ? Dix,… vingt ? J’y arriverai. Que Dieu le veuille ou pas. »
« A Fustat, j’irais te trouver Al Hakim. Que tu sois la Méduse ou pas, je te supplierai de me rendre Malika. »
*
IV
TOUM-TOUM...TOUM…TOUM…TOUM-TOUM…TOUM… TOUM…
Augustin tend l’oreille. Qu’est-ce ?
« Annonce-t-on ma disparition ? »
Il se rapproche de la berge. Entre les joncs, il distingue un pêcheur jouant du tambour sur une felouque pour attirer le poisson dans son filet.
« Aurais-tu vu la barque des marchands d’huile hier ? Ne devrais-je pas me découvrir et te héler ? « Si les marchands d’huile m’attrapent et me vendent au marché aux esclaves ? Peut-être te retrouverai-je Malika. »
Il se relève et poursuit sa route, s’éloignant du fleuve au couvert d’un rideau d’arbustes.
*
Il marche depuis deux chandelles. Il a bien récité dix ou vingt chapelets. Sans s’en rendre compte, il a dépassé depuis longtemps le point le plus éloigné de Konios qu’il n’a jamais atteint.
Le soleil perce les interstices entre les folioles des palmiers. Ses épaules le brûlent. Des perles de sueur lui piquent les yeux. Sa galebeya, trempée, lui colle au dos.
Il s’est tu. Il ne remue même plus ses lèvres desséchées pour réciter le dikr.
Ses jambes vacillent, comme si elles se vidaient de toute force, et devenaient du coton.
« Que m’arrive-t-il ? »
Ses pieds à vif, pourtant habitués à marcher sur les pierres et sur les épines, le tourmentent. Il a oublié de les oindre d’huile de palme ce matin. Plus un pas lui coûte, plus il serre le chapelet de Malika dans sa paume moite.
La tête lui tourne. La faim, la soif ? Il n’a rien mangé, ni bu, depuis le déjeuner d’hier. Il ne peut se désaltérer avec l’eau du fleuve, pleine de larves. Il doit trouver un puits.
« Mon Dieu, aide-moi. »
*
Il ne se laisse plus distraire par le fleuve. Avancer. Rien d’autre. Pas après pas. Chandelle après chandelle, à mesure que le soleil passe au couchant, sa résolution finit par s’affaiblir. Mais ses jambes rechignent de plus en plus à le porter.
« Ce soir, où vais-je me réfugier ? »
La peur revient.
Vers le milieu de l’après-midi, à l’approche d’un village, il s’arrête et épie les mouvements de felouques. Au cas où les marchands d’huile, s’y seraient arrêtés. Des pêcheurs seulement. Pas de Malika en vue.
Tandis qu’il s’apprête à repartir, Augustin est pris de tournis. Il fait encore quelques pas et s’affale au pied d’un palmier. Il s’assoupit.
*
Crish…Crish…
Augustin tressaille. Une grande ombre l’enveloppe. Qui va là ?
Il ne parvient pas à distinguer les traits de la silhouette qui se dresse à ses pieds. Le soleil couchant projette son spectre sur lui. Que lui veut-on ? Un marchand d’huile ? Al Hakim ? La Méduse ? L’ombre du bout de la digue qui a emporté Malika ? Une seule entité réunissant toutes les précédentes ?
Augustin aimerait fuir. Il se sent à peine la force de se relever. Sa tête pèse si lourd. Pâle comme un linge, bouche bée, il se contente de serrer le chapelet de Malika au creux de sa paume.
L’ombre fait mine de s’abaisser vers lui. Par réflexe, Augustin se jette sur le côté, espérant pouvoir ensuite s’échapper entre les taillis.
Trop tard. L’ombre fond sur lui et l’attrape d’une puissante poigne. Il se débat.
- Lâche-moi !
D’une clé, l’ombre l’immobilise et lui plaque une main couverte d’un pansement sur la bouche. Augustin s’époumone quelques instant puis se tait, essoufflé.
- Malika, ça ne te suffit pas ?
Théo ! Il reconnaît sa voix.
*
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Bravo a ce juolnariste et a son redacteur en chef qui temoignent par cet article qu'il existe encore du courage et de l'ethique au sein des grandes redactions francaises.Il faut des gens comme vous pour reveiller l'esprit critique de la population.Mille Mercis !
Rédigé par : Santi | vendredi 24 fév 2012 à 20h27