La recherche
II
« MALIKA…, MALIKA…, MA…LI…KA »
Doux, insistants, énergiques, éplorés. Les appels résonnent dans le marais.
Pour la première fois depuis la fête de la Vierge, les hommes de Konios et d’Assiou se sont réunis. Torches, faux, épieux ou gourdin à la main, ils recherchent la disparue. Par deux, ils avancent sur chaque parcelle de limon manquant parfois de se noyer dans la tourbe.
« MALIKA…, MA…LI…KA…,».
Les heures passent. Elle reste introuvable. Puni avec Paul, Augustin veille au bord du fleuve, malgré sa fatigue. Il a le visage posé sur ses genoux repliés.
A quelques pas, une femme sans âge aux longs cheveux filandreux, aux yeux charbonneux et au front couvert de scarifications brûle de la paille sur un feu, nourrissant une épaisse fumée. Avec sa main droite, décorée de volutes florales dessinées au henné, elle agite un chapelet d’oignons, comme si elle tenait un tambourin. Elle psalmodie des psaumes de Salomon. Myriam, la chamane.
« MA…LI…KA…»
Au loin, toujours ces appels, de plus en plus faibles.
Augustin se sent vide comme si on venait de lui retirer la moitié de lui-même. Malika ? Oui. Il aurait dû la raccompagner quitte à se faire battre par Oussama puis écorcher au retour par les aigles.
Lydia, toujours aussi pot de colle, depuis qu’il fréquente Malika, est restée près de lui. Elle lui a prodigué des caresses sur la joue. Il a repoussé sa main.
« Malika, ma Lune, qu’ai-je fait ? Pourquoi n’ai-je pas traversé la digue avec toi ? Je partagerai ton sort. Nous aurions dû rester ensemble. Quoi qu’il arrive. Ensemble. »
Quelqu’un ne va-t-il pas bientôt surgir avec son petit corps désarticulé entre les bras ? Les yeux toujours brûlants de larmes, il se maudit tout en se pinçant la joue jusqu’au sang.
« Méduse, rends-la moi. Je t’en prie !» se répète-t-il, désespéré.
*
Près du feu, Théo, résigné, regarde Myriam.
- Tu ne les aides pas ? lui fait-elle, au milieu de ses fumigations.
- Trop tard, dit-il entre ses dents jaunies par les boulettes de haschich, en tendant le bras vers Fustat.
- La Méduse ! lui rétorque Myriam, en se redressant. Les enfants n’auraient pas dû jouer. Je leur ai dit mille fois. Les cris, l’agitation, le sang… ça la réveille. Ca l’excite.
Les yeux brillants, le geste grotesque, Myriam se met à singer un aigle distribuant des coups de serre.
- Ces jeunes excités ne pensent qu’à ça.
Théo soupire.
- Ta Méduse ? Elle s’est envolée depuis belle lurette. C’est Al…
Myriam lui brandit les oignons au visage.
- Assez ! La malédiction va s’abattre sur nous.
- Malika est à lui.
- Son œil, fait Myriam en montrant du doigt une étoile bleutée qui brille au-dessus de Konios chaque nuit sans lune. Il nous guette… Le sortilège de la Méduse est de te faire croire qu’elle est ailleurs. L’aigle ! C’est elle qui leur a inspiré ce jeu pour les farcer dans le marais.
Theo hausse les épaules. Myriam reprend ses psalmodies.
*
« MALIKA…, MALIKA…».
Rien, toujours.
La chamaille à peine close, Théo vient s’asseoir près d’Augustin et de Lydia. Las, il regarde le fleuve en silence.
- C’est vrai ce que tu dis ? finit par lui demander Augustin, la voix chevrotante.
Theo le dévisage tout en opinant du chef.
- Tant qu’Al Hakim ne se sera pas consolé de Sit Al Mulk, ça continuera. Nos filles disparaîtront.
Augustin ose à peine jeter un regard en direction de Myriam qui les épie en poursuivant ses incantations.
- S’il n’en veut pas… Il me la rendra ?
Theo se tait. Accablé, Augustin finit par s’allonger. Il fixe l’astre cerclé d’un halo bleuté que désignait Myriam à l’instant. On dirait la naissance d’une flamme. Parfois, il paraît s’embraser de mille feux comme s’il jetait un sort. L’œil de la Méduse. Plus il le regarde, plus Augustin se sent attiré par sa lueur, fascinante et effrayante à la fois. Qui croire ? Myriam ou Théo ? N’ont-il pas tous les deux raison ? La Méduse ne serait-elle pas ici et ailleurs ? A la fois. Comme Théo le dit d’Al Hakim.
Ses yeux commencent à le piquer. Il se force à les garder ouverts. En vain.
« MALIKA…, MA…LI…KA…,».
Les appels lui paraissent de plus en plus lointains. Malika. On va la retrouver. Il doit attendre son retour. Il doit. Le peut-il ? Il se sent attiré par la béance d’un puits sans fond. Comme un appel. Il souhaite autant y échapper que s’y abandonner. Il faut résister… résister… ré…
Il s’assoupit sur le sable.
*
Retrouvez l'intégrale de La Missive
en version papier, grand format, tirage de tête
(422 pages, format 14,8x21 cm, broché)
ou
...et en version électronique compatible Mac, PC, Kindle, Ipad, Iphone, Androïd :
la Missive sur Amazon.com
La Missive © Fabrice Frémy et les Éditions Cortambert, 2011
ISBN : 979-10-90725-02-7
Est-ce qu'un dixieme des elements dans cet altcire a deja ete traite par un medias francais ?Et on dit que les Suisses sont un peu lent ? A croire que la lenteur des journalistes francais est volontaire
Rédigé par : Pricila | samedi 25 fév 2012 à 07h34