Un artiste Pop, c'est indéniable. Benjamin Capdevielle le revendique : « Lichtenstein, c'est la base de mon influence », et il n'hésite pas à dire qu'il est ancré dans les années 70. Comics, mangas et séries télé à la frontière du réel l'embarquent dans un autre monde peuplé par Donald, Iron Man et par de supers héroïnes fantastiques que des créatures monstrueuses capturent.
Il n'est pas d'ici, Benjamin Capdevielle, il vient d'ailleurs. Ce qui donne à sa peinture un mélange détonant : le trait de la bande dessinée, ligne claire parfaite, noire sur blanc, des aplats de couleurs franches et partout l'irruption du surnaturel. Malgré une absence de reliefs, les personnages sont rendus dynamiques par le découpage des toiles en deux ou trois morceaux à l'instar du vignettage de la BD et d'un cadrage inspiré par sa formation photographique. Diptyques, triptyques apportent une profondeur structurante et nous projettent immédiatement dans l'action, au cœur d'un univers survitaminé.
Autodidacte, Benjamin Capdevielle, né en 1977, est un tout jeune artiste quicommence comme photographe malgré une vocation de dessinateur : « ma mère m'appelait ripolin car je peignais tous le temps, avec de la peinture de chez Castorama ». Adolescent il commence donc en décorant sa chambre et se met à peindre en 1998. Mais poussé par la nécessité de gagner sa vie, il se consacre à la photo et sort diplomé de MJM-Art School à Paris.
Quelques années plus tard, l'exposition de Murakami à la fondation Cartierréactive son désir de reprendre ses pinceaux. Les myriades d'yeux colorés de l'artiste japonais, l'iconographie des mangas qu'il connaît bien pour les avoir reçus comme cadeaux de la part de visiteurs nippons qui venaient chez lui lorsqu'il était enfant, le projettent à nouveau dans cet univers qu'il a déjà fait sien. Il se met à découper tout ce qu'il a, sa collection, comme des numéros originaux de The Micronauts à Doc Strange, qu'il chine et colle sur la toile. Morceaux de BD, publicités, petites annonces : « je veux mélanger tout ce qu'il se passait à ce moment-là ». Cela devient le fond sur lequel il va peindre et qui offre une deuxième lecture qui révèle parfois des images érotiques à peine visible au premier coup d'œil. Un second degré dont Benjamin n'est jamais très loin. Amusé par le sérieux déjanté de Donald, il s'agace de la perfection gentillette de Mickey et s'entiche des extra-terrestres qui pourraient être à l'origine de notre humanité.
Passion, déraison, théorie fumeuse, Benjamin Capdevielle rigole mais écoute, se passionne, cherche à comprendre d'où nous venons et en illustre la problématique. Ce qui donne aujourd'hui à sa peinture une orientation tout à fait énigmatique et personnelle. Tout commence par une recherche sur les plus anciennes calligraphies. L'écriture cunéiforme des Sumériens, anciens Babyloniens, retient son attention. Il découvre la théorie de l'auteur Zecharia Sitchin et l'existence supposée des Annunakis venus de la planète Nibiru, qui, par manipulation génétique, auraient créé l'homo sapiens. Hypothèse relayée, mais aussi largement controversée, par nombre d'archéologues et de linguistes ayant examiné les textes gravés de la civilisation sumérienne, elle-même porteuse de nombreuses questions. Si Benjamin Capdevielle garde raison face à ces extraordinaires spéculations, il n'en demeure pas moins fasciné et trouve matière à travailler.
Nouvelle inspiration pour cet artiste déjà fin prêt à entrer dans un monde de science-fiction, bercé par des films de séries B des années 50 : « La femme de 50 pieds », « La planète interdite », « Robot Monster »... Les scénarii bidon, les trucages grossiers et les typos des affiches qui les accompagnent composent un monde qui lui parle et porte son œuvre en devenir du comic strip vers l'espace intersidéral. « Je n'invente rien, je me sers du passé », dit-il, mais aussi de l'avenir, d'un lendemain qui n'existe pas encore, toute une vie devant lui. Pour l'heure, c'est le projet 313 qui l'occupe. Après plusieurs expositions collectives et participations à des foires d'art contemporain, voici venu le temps de sa première exposition personnelle.
Je laisse Benjamin à son travail, minutieux comme une horloge suisse, il peaufine le trait noir d'une soucoupe volante sur fond sonore d'un documentaire avec dans la tête l'envie sourde de tendre vers l'abstraction et la matière, un big bang attendu dans une carrière qui décolle au quart de tour vers les étoiles.
Reportage de Fanny LASSERRE pour Sub Yu Magazine
Projet 313 : Exposition du jeudi 27 mai au samedi 26 juin
Espace Cortambert : 39 bis, rue Cortambert, Paris 75116